Journal d'une feuille
Je suis née en avril dernier,
d'un printemps hâtif et de grande chaleur.
Je m'en souviens comme si c'était hier, le temps file à cent mille à l'heure.
Nous sommes nombreuses dans la famille
et je ne saurais dire combien j'ai de soeurs.
J'ai passé un été enchanteur à me faire
caresser par un vent enjôleur.
J'étais heureuse de vivre et je ne me souciais guère de l'avenir.
Je croyais avoir mille ans devant moi où je resterais perchée à regarder les
enfants jouer au gendarme et au voleur.
Pourtant, par une journée d'octobre,
cette paisible vie a basculé et je n'ai pu me retenir.
Je me souviens de mes maux de coeur, j'ai eu très peur, j'ai virevolté cent fois
et j'ai fait de moi un cascadeur.
Malgré une grande frayeur, j'ai réussi à me poser en douceur sur un sol que
je n'avais vu que du haut de ma candeur.
Aussitôt, j'ai levé les yeux pour faire
signe à mes soeurs.
Elles étaient là, encore insouciantes, bien agrippées à leur bonheur.
Vont-elles me rejoindre dans dix minutes ou bien une heure?
J'ai entendu dire que j'irais dans le
composteur pour un avenir meilleur.
Que je deviendrais la vitamine d'une terre pauvre et sans valeur,
en lui redonnant santé, confiance et vigueur.
Ainsi, je renaîtrais au travers des tulipes, roses et autres fleurs.
Moi qui croyais n'être bonne qu'à embellir mon secteur, me voilà promue au titre de docteur!
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